Unilin
40 ans de dévouement et de leadership chez Unilin – Entretien avec l’ancien CEO Bernard Thiers
Bernard Thiers, véritable légende au sein d’Unilin, a annoncé son départ à la retraite après quarante ans dans l’entreprise, dont quatorze en tant que CEO. Au fil de notre conversation, Bernard a partagé ses expériences, ses idées et les leçons qu’il a tirées de sa remarquable carrière. Des temps forts de son parcours chez Unilin à son point de vue sur la direction et l’innovation, cette interview offre un aperçu approfondi du brillant cheminement de Bernard Thiers.
Q : Pouvez-vous revenir sur votre trajectoire au sein d’Unilin, depuis votre rôle de directeur d’usine, en 1984, jusqu’à celui de CEO pendant 14 ans ? Quels ont été les moments décisifs ou les réalisations dont vous êtes le plus fier ?
J’ai commencé mon parcours chez Unilin en tant que directeur d’une de nos usines de panneaux de particules (ou aggloméré). C’est là que j’ai développé mon amour pour le bois, ce produit et ce matériau durable ; c’était le début de ma carrière. Le bois est une ressource fantastique, pour moi. L’aggloméré, fabriqué chez nous à partir de bois recyclé, offre des possibilités infinies. Ensuite, je me suis progressivement centré sur la finition, en particulier sur les revêtements de sol stratifiés.
Nous avons commencé à développer des sols stratifiés en 1989 et, en 1990, nous avons introduit la marque Quick-Step. En collaboration avec le département marketing, nous nous sommes concentrés sur le design et la stratégie de marque ; nous ne voulions pas seulement créer un beau produit, mais aussi garantir un emballage attrayant et un positionnement en tant que marque grand public. C’était le début d’une réussite !
Une deuxième étape importante de ma carrière a été le développement du système à clics, en 1997. À l’origine, les sols stratifiés étaient posés avec des languettes et des rainures, puis collés. Une méthode contraignante. Nous avons été les premiers au monde à développer un système à clics, où les planches sont posées et assemblées par encliquetage. Il n’y avait plus besoin de colle. C’était une innovation révolutionnaire, que nous avons immédiatement fait breveter. Au départ, nous étions prudents, mais il s’est avéré qu’il s’agissait d’une invention formidable, qui a complètement changé l’industrie. Sais-tu qu’aujourd’hui, tous les revêtements de sol stratifiés sont posés avec un système d’encliquetage ?
Peu après l’introduction de notre procédé à clics, plusieurs demandeurs sont venus à nous pour obtenir des licences. En cinq ans, nous avons transformé le marché, avec notre révolution du clic. Bien que nous ayons dû défendre de nombreux brevets et mener des batailles juridiques, nous avons finalement pu obtenir des licences dans le monde entier. Cela a créé une nouvelle source de revenus, les revenus des licences.
Aujourd’hui, le plus important pour nous reste de développer des produits beaux et innovants. Il ne s’agit pas seulement d’une bonne base, mais aussi de tout ce qui tourne autour, comme l’image de marque et la promotion de la marque Quick-Step. En outre, la propriété intellectuelle, garantie par nos licences, nous a aidés à protéger les innovations et à créer une source stable de revenus. C’est quelque chose dont je suis extrêmement fier, de même que l’équipe !
Q : Unilin a connu une croissance et une expansion significatives, sous votre direction. Pouvez-vous nous donner un aperçu des stratégies ou des décisions qui ont contribué à cette expansion ?
Tout d’abord, nous avons prêté attention non seulement à notre produit, mais aussi au marché et au marketing. Nous ne voulions pas commercialiser une commodity, une simple marchandise, mais construire une marque à valeur ajoutée, appuyée par de fortes stratégies de promotion. Le deuxième pilier est l’innovation. En développant des produits novateurs et attractifs, nous pouvons consolider notre marque. Il ne sert à rien de faire de la publicité pour un produit s’il s’agit d’un article « me-too » ; le produit doit avoir des caractéristiques uniques et authentiques, qui se prêtent à être valorisées par le marketing. Le succès vient de la combinaison d’un bon produit et d’une bonne communication.
Dans une entreprise en pleine croissance, la structure et l’organisation sont également importantes. Dans le passé, en tant que PME, nous avons travaillé plutôt en tant que partenaires et en équipes. Mais au fur et à mesure que vous vous développez, vous devez introduire plus de structure, dans votre entreprise. Ce qui veut dire une organisation solide et des rôles et responsabilités bien définis, afin que la société puisse se développer, devenir moins dépendante de la direction et fonctionner de manière plus autonome. L’entreprise doit pouvoir tourner par elle-même.
Q : Diriez-vous qu’il est surtout nécessaire de développer nos propres infrastructures, pour certains besoins, ou est-il tout aussi important de faire des choix judicieux ?
Il faut bien sûr faire des choix judicieux. Dans la phase de développement de votre société, il y a des dispositifs dont vous n’avez pas encore besoin, si vous êtes une petite entreprise de deux cent personnes, par exemple. Mais dès qu’on veut devenir international et être une multinationale, il faut franchir le pas et mettre en place un bon système. Vous devez toujours tenir compte de la phase et de l’état de développement où se trouve votre entreprise. Et il s’agit aussi de lancer des collaborations. Avoir de bons partenaires est crucial.
Q : L’innovation semble être un thème central, dans la réussite d’Unilin. Pouvez-vous nous parler de son rôle pendant votre mandat de CEO, en particulier dans le cadre du développement de produits et de la différenciation des marchés ?
Le revêtement de sol stratifié était déjà en soi une innovation. Nous avons commencé à le développer en 1989 et avons été parmi les premiers à le commercialiser. Il y avait donc beaucoup de latitude pour l’inventivité et le développement. En innovant constamment et en nous concentrant sur des produits inédits et attrayants, nous avons pu renforcer notre marque et nous distinguer, sur le marché. Au début, je m’occupais seul de ce produit, mais comme le système à clics a eu tant de succès, j’ai rapidement constitué une petite équipe. Ensemble, nous avons poursuivi le développement de ce système d’encliquetage, ce qui a permis une avancée considérable. Mais les choses ne se sont pas arrêtées là. Nous avons aussi développé et breveté la rainure en V pour revêtements de sol stratifiés. Au début, on pensait que les rainures en V n’étaient pas compatibles avec le stratifié, mais nous visions un rendu équivalent à celui du parquet massif. Nous avons perfectionné la texture, les veines et l’apparence de bois dans notre stratifié ; ensuite, nous l’avons imprimé – d’abord par pressage (ce qui n’était pas très joli) –, puis en recourant au « Registered embossing », au « gaufrage enregistré ». Il s’agit d’un système d’impression en relief, qui garantit que la structure du revêtement corresponde parfaitement au motif du dessin ; ceci permet d’obtenir une finition extrêmement réaliste, qui donne au sol un aspect encore plus authentique.
Notre inspiration a toujours été le bois véritable ; nous voulions rendre le parquet massif obsolète, en créant un produit stratifié qui soit aussi beau, sinon plus, que le vrai bois. Et plus convivial. C’est resté notre fil conducteur et notre objectif, tout au long du parcours. Ce qui est motivant, c’est que même si nous savons que nous ne pourrons jamais atteindre entièrement cet objectif, nous pouvons nous en approcher toujours plus. C’était notre boussole, et ça l’est toujours aujourd’hui. C’est pourquoi nous continuons à développer nos stratifiés, afin de les rendre toujours plus beaux et aussi proches que possible du vrai bois, en termes de rendu, de sonorité et de toucher.
Nous avons également appliqué ce principe à nos autres lignes de produits, comme les panneaux. Notre technologie unique nous permet de créer des articles qui ne peuvent être fabriqués par personne d’autre ; ils ressemblent à s’y méprendre à du bois véritable, la différence est devenue presque imperceptible. Cette ambition de copier et même d’améliorer le vrai bois nous a inspirés et aidés à maintenir nos performances de haut niveau.
Quelle est l’importance de la différenciation des produits, dans cette aventure ? La différenciation des produits est essentielle. En tant qu’entreprise, vous devez avoir un pricing power, un pouvoir de détermination des prix. Si vous ne proposez que des produits de type « me-too », vous ne pouvez rivaliser que sur les prix. En créant des articles innovants et beaux, vous pouvez offrir à vos clients un récit et une diversification, ce qui permet d’améliorer les marges.
Q : L’ouverture récente de « The Dive », le nouveau centre de formation d’Unilin, témoigne d’un engagement pour l’apprentissage et le développement tout au long de la vie. De quelle manière l’investissement dans la formation et les compétences des travailleurs contribue-t-il à la réussite de l’entreprise, selon vous ?
Investir dans la formation et les compétences des travailleurs est d’une valeur inestimable, pour le succès de notre entreprise. Comme souligné tout à l’heure, les personnes sont la force motrice, dans tout ce que nous faisons. Ce sont elles qui apportent de l’innovation, qui font tourner les usines, qui développent de nouvelles idées dans le domaine du marketing et de la vente. Il est donc essentiel d’attirer les bonnes personnes ; des gens qui possèdent non seulement les connaissances et les compétences requises, mais aussi la passion et l’esprit d’entreprendre qui se relient à la culture de notre firme.
Grâce à nos politiques rigoureuses dans les ressources humaines, grâce à l’accent mis sur le développement des talents, nous œuvrons pour créer un environnement où les collaborateurs peuvent s’épanouir et se déployer. Nous offrons non seulement des opportunités aux professionnels expérimentés, mais nous investissons aussi dans des programmes de formation et de développement, pour aider nos collaborateurs à progresser dans leur carrière.
« The Dive », notre nouveau centre de formation, est un pas concret dans cette direction. Il nous permet d’obtenir de nouveaux collaborateurs et de leur apporter les connaissances et compétences nécessaires. À une époque où l’enseignement laisse parfois à désirer, nous prenons la responsabilité de donner à notre personnel les chances d’évoluer et de maximiser son potentiel. Cela permet non seulement aux personnes de faire fleurir leur passion, mais contribue aussi à renforcer notre entreprise dans son ensemble.
Q : Voit-on une tendance claire, dans ce domaine, et y a-t-il un réel besoin de ce type de développement formatif, chez les gens ?
Oui, absolument. À une époque où la formation permanente est plus importante que jamais, The Dive constitue un avantage concurrentiel incroyable. Il est primordial, aussi, pour notre Employer Branding, notre image de marque en tant qu’employeur. Le fait que chez nous les gens n’ont pas seulement un emploi, mais aussi l’opportunité de se perfectionner, cela ajoute considérablement à notre attractivité comme employeur.
Q : Alors que vous passez le flambeau à Wim Messiaen, quels conseils lui donneriez-vous, maintenant qu’il prend ses fonctions de CEO ?
Le plus important est d’être ouvert aux gens et de les écouter attentivement. L’écoute active, ce n’est pas seulement entendre ce que disent les gens, c’est aussi comprendre ce qui se cache derrière leurs mots et ce qu’ils veulent vraiment exprimer. C’est essentiel. En tant que CEO, vous êtes juste une personne ; ce sont les gens qui font tourner les choses. Vous devez bien comprendre ce qu’ils expriment et savoir ce qui se passe dans l’entreprise, pour prendre les bonnes décisions.
Q : Avec le recul, y a-t-il quelque chose que vous auriez fait autrement, au cours de votre mandat de CEO ?
En fait, je ne regarde jamais vers l’arrière, mais toujours vers l’avant. Bien sûr, il y a eu des erreurs et des choses qui auraient pu être meilleures, mais je ne crois pas qu’il faille ruminer le passé. Il est plus important de se tourner vers l’avenir et de tirer les leçons qui s’imposent, afin d’éviter de nouvelles erreurs. Nous devons continuer à prendre des décisions, tout en sachant qu’elles ne seront pas toutes parfaites. Si à peu près 80 % de nos décisions sont correctes, nous nous en tirons bien ; la perfection est rarement atteignable.
Q : À la lumière de votre expérience, quels sont d’après vous les principaux défis et opportunités auxquels sont confrontées, aujourd’hui, les industries du bois, de l’ameublement et du textile ?
L’Europe est effectivement confrontée à certains défis, dans les domaines de ces industries. Notre région fait face à des coûts de main-d’œuvre élevés, à la hausse des prix des produits de base, ainsi qu’à des réglementations strictes, ce qui nous rend moins compétitifs sur le marché mondial. Nous pouvons nous plaindre de ces obstacles, mais cela ne nous mènera pas plus loin. Au lieu de cela, nous devons recourir à notre créativité, développer des produits et services qui se distinguent de la masse. Même s’il est peu probable que les coûts du travail et des matières premières diminuent, nous pouvons combiner notre inventivité européenne, belge et flamande avec une force de travail hautement qualifiée, afin de créer des produits uniques et de haute qualité, qui ne peuvent pas être reproduits par une main-d’œuvre bon marché, ailleurs dans le monde.
Q : Il y a donc bel et bien un avenir en Belgique ?
Absolument, je crois avec force en l’avenir en Belgique. Il s’agit avant tout de nous fier à nos propres forces et aux talents de nos collaborateurs, ici dans le pays. Nous avons des esprits féconds, avec un sens aiguisé de la beauté et de la qualité. Avec des produits de haute valeur et un design innovant, nous avons tous les atouts pour nous démarquer.
Q : Pour conclure, quel héritage espérez-vous laisser à Unilin et quel message aimeriez-vous transmettre aux futurs leaders de l’industrie ?
L’héritage que j’espère laisser à Unilin gravite autour de deux aspects fondamentaux : nos valeurs et notre objectif. Nos valeurs – passion, esprit d’entreprendre, excellence et respect – sont profondément ancrées dans notre entreprise et clairement communiquées à nos collègues. Elles forment le cœur de notre existence et doivent être vécues par chacun, au sein de notre organisation. Deuxièmement, notre objectif, notre but est de repousser les limites pour accroître la qualité de vie de nos clients, en créant de meilleurs espaces de vie et de travail. Nous voulons fabriquer des produits qui contribuent au bien-être de nos consommateurs, suivant le principe « better spaces, better life », un mot d’ordre central, ancré dans notre devise. Ma plus grande motivation est que les gens qui optent pour nos produits soient satisfaits de ce choix, jour après jour, et que grâce à la beauté et à la qualité de nos sols, leur qualité de vie soit haussée.
Mon message à mes successeurs est de continuer à poursuivre ces valeurs et notre objectif. Ils sont au cœur de notre succès, et ils nous aideront encore au cours des cent prochaines années. Aux candidats à la direction, je dirais : ce sont les personnes qui font la différence. Entourez-vous de personnes avec qui vous pouvez bien travailler en équipe, écoutez-les et acceptez les défis politiques et économiques de notre région. Pour arriver à quelque chose, coopérez avec ces gens et, pour faire une vraie différence, tirez parti de notre créativité et de la force des personnes.
"We push boundaries to improve people's quality of life by creating better spaces".
L’interview a été réalisée par Fabiana Di Mauro (Fedustria).